CHAUMONT EN JUIN
Ma première visite m'ayant ouvert l'appétit, je retournais à Chaumont-sur Loire en juin cette fois, pour découvrir un nouveau visage du château et des jardins.
Je disposais de plus de temps et était prête à en découdre. Entre les deux parcs, le château et les dépendances, les expositions et le festival des jardins, le menu est plus que copieux et l'attention particulièrement sollicitée. J'avais décidé cette fois de ne laisser de coté que le parc historique longuement arpenté en octobre dernier.
Commençons par le festival dont le thème était "Jardins des sensations", recoupant celui de l'an dernier "Jardins des délices, jardins des délires" tout en l'élargissant. D'ailleurs j'ai trouvé que certains jardins avaient un air de famille avec ceux de l'an passé.
"Le graminophone" offre une plongée dans une structure aussi mouvante que les herbes, jouant du clair-obscur et donnant à entendre le "chant" des plantes.
"Renaissance" évoque l'histoire temporelle du jardin né de rien ou presque, qui parfois meurt mais revient toujours à la vie. Pertes et renouveau.
Un coup d'oeil sur l'écrin dans lequel sont enchassés les petits jardins.
"Les parfums du vignoble" met tous nos sens en éveil jusqu'à les étourdir légèrement. Les couleurs particulièrement, sont somptueuses.
"Saute qui peut" nous offre un contraste frais et acidulé en nous invitant à plonger dans sa végétation foisonnante, sauvage, piquante que ce soit dans les textures, allures, ou parfums.
"Voir les sons, entendre les couleurs" invite à traverser une étendue d'une densité de formes et de couleurs insensée. Le léger surplomb brouille les échelles, mais au sein du cocon niché tout au bout du parcours se trouve une incroyable bulle de calme. J'avais l'impression en cheminant d'admirer le fond d'un océan merveilleux.
"Le parfum du chaos magnifique" ne tenait pas encore toutes ses promesses mais l'imagination pouvait suppléer l'absence du parfum des lavandes et jasmins, portée par la force des verticales et la douceur des couleurs.
"Le jardin de l'ivresse" acquise sans équivoque au piano-bar bouscule nos perceptions, les formes ondoient, le regard chavire, le corps s'affaisse.
"En apesenteur" bien caché derrière ses portes de métal oxydé a été mon coup de coeur du jour.
Découvrir après les avoir franchies, ces plantes en apesenteur sur le miroir d'eau noire et lisse, quelle belle et excitante surprise !
Un énorme plus : vue sur Loire. Et en face du miroir, une jolie terrasse de teck bordée d'un arc-en-ciel de plantes, hélas encore peu développées à ce moment là.
"La jetée" joue aussi des miroirs, les multipliant comme autant de points de vue partiels et différents, montrant le bombardement de sensations, d'impressions auxquels nous sommes soumis. Mais au bout de la jetée nous accueille l'apaisement, le sentiment que les choses sont une et en place.
"Les meules" ont provoqué en moi une déconnexion totale. Point de réflexions sur les formes ou constructions, l'effort ou la densité, le volume énorme né de simples brins...Non, plongée directe au coeur de l'été et de l'enfance via l'odeur délicieuse qui m'a jetée en plein soleil, poutant timide. Puis j'ai entendu les petites bêtes de l'été et eu du mal à les quitter.
"Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé" met en scène jardin d'ombre et jardin de lumière, part sombre et claire de nous-même et nous incite, après avoir cheminé dans ces ambiances contradictoires et complémentaires à gagner la porte, qui entre les deux, est peut-être celle d'un paradis connu puis perdu, dont nous avons des réminiscences plein nos jardins.
Les jardins du Festival font l'objet d'un concours et nombreux sont ceux qui souhaitent y participer, quelques 300 projets internationaux et pluridisciplinaires sont déposés pour 25 jardins ! Chaque année plusieurs "Cartes vertes" sont offertes à des artistes qui s'expriment en toute liberté dans leur espace. Ici, aKousthéa, compagnie de création musicale, a installé un dispositif qui émet des sons différents quand le visiteur s'aventure au milieu des lianes au toucher varié.
"La rivière des sens" propose un parcours démarrant sagement qui subit une accélaration et nous chahute en cours de navigation, brouillant les repères, modifiant les angles de vue, nous berçant du mouvement des graminées, nous rassurant d'un espace ouvert puis nous plongeant dans les plantes géantes, grimpantes, envahissantes. Sont-elles soutenues par la structure, ou s'en sont-elles emparées ?
"Derrière l'armoire" qu'y a-t'il ? Un jardin de l'ordre du conte et du fantastique avec une telle entrée ! Au fil du sentier nous entrons de plus en plus profondément dans le végétal au point de nous demander qui domine l'autre ? Pas de joli conte sans sa petite dose d'inquiétude !
"Tic-tac" prolonge le merveilleux en nous invitant à faire le tour complet du cadran en une visite pleine de contraste, du jour le plus éclatant à la nuit la plus sombre en passant par les heures pâles du début et de la fin du jour, réveils inclus.
"Comme un bruissement d'ailes" enveloppe ses sensations de draps blancs qui cachent et dévoilent formes et couleurs au fil de la promenade en cercles concentriques, comme au gré du mouvement des balançoires qui permettent d'approcher autrement la végétation. Voir les plantes en mouvement est inhabituel et amusant.
"Le jardin des rizières" où j'ai pu me poser seule un moment et te l'offrir en pensée, Marie-Paule. Un joli brin de plénitude et sérénité.
"Le jardin d'amour" frappe par la répétition des troncs sinueux des saules, le lancinant "je t'aime" repris dans toutes les langues qui baigne la promenade. Souvenirs et introspection au rendez-vous.
Après une courte pause déjeuner, prenons la direction des Prés du Goualoup pour découvrir de nouvelles cartes vertes et installations artistiques.
Le jardin "Carré et rond", terre et ciel, de Yu Kongjian, grand architecte et paysagiste chinois déroule un ruban garni de bambous rouges au-dessus d'un bassin entouré de bambous vivants vibrant au vent. Il fait suite aux deux autres jardins chinois créés l'an dernier.
"Hualu-ermitage sur Loire" a été créé par l'architecte réputé Che Bing Chiu. Comportant pavillons, arbres, pierres et collines, il évoque le passage de saisons comme celui des heures de la journée, même si la dimension spirituelle est prépondérante.
"Le jardin des nuées qui s'attardent" dont le nom vient d'un poème célébrant l'amitié a été conçu par le paysagiste Shu Wang. Comme un nid renversé, une structure couvre un bassin sans occulter les reflets de la lumière et des nuages...Rêveries, méditation.
Presque en face un fin brouillard surgi de nulle part s'échappe d'un groupe d'arbres. Cette sculpture de brume est née de l'esprit de Fujiko Nakaya.
Après ce songe immatériel, l'archipel de Shodo Suzuki parait être d'une matérialité à toute épreuve. Ce jardin, seule création du paysagiste hors de son pays, représente le japon, son état de crise à travers les blocs fragmentés mais posés sur l'eau qui coule, symbole du temps qui passe, enchassés dans un cercle invoquant un souhait de paix auquel les plantes ajoutent l'espoir.
Cercle encore, le Recinto sacro d'Andrea Branzi, architecte et designer italien, isole un espace où la végétation inaccessible se développera librement.
Tout au fond, à peine visibles, les bancs aux fantasques volutes de Pablo Reinoso s'enroulent autour des arbres.
Après cette agréable flânerie dans les prés, au milieu des oeuvres d'art et des marguerites, une nouvelle pause sur un banc dessiné par Patrick Jouin sera bienvenue pour se charger en énérgie et se vider l'esprit avant la suite de la visite.
Incontestablement, la météo très humide et maussade du printemps a aussi joué sur le développement des jardins, peu fleuris en ce début de juin, comme vous avez pu le constater. Il faut laisser aller son imagination et sa connaissance des plantes pour les voir dans leur plénitude. Mais c'est sans regret pour ma part qui ai pu profiter de la floraison de milliers d'aulx d'ornement dont je raffole.
Suite de la visite, demain.
Bonne journée.